Entreprendre en Afrique : quels enjeux pour le continent ?
L'entrepreneuriat africain est plus que jamais au cœur des débats - il s'est érigé en modèle économique, vecteur de développement pour le continent. Pour bon nombre d’esprits éclairés, le continent fascine de par sa résilience, sa jeunesse et sa capacité à se réinventer. Pour d’autres, sa dynamique et ses mutations rapides intriguent, effraient. Ce continent qui était, jadis, en retard est en pleine mutation grâce notamment au développement de l'entrepreneuriat, au digital et à la recrudescence des investissements étrangers,...un chantier qui engage sa population locale, sa diaspora et qui intéresse également de plus en plus de partenaires internationaux.
Longtemps, le continent a fait appel à l’expertise étrangère pour développer son économie, son agriculture, son industrie et pour exploiter ses ressources naturelles. Ce qui lui a coûté très cher. Aujourd’hui encore, des multinationales exploitent et profitent des richesses du continent. Depuis la vague d’indépendances des années 60, crises politiques et économiques se sont succédées, les changements devenant la constante. Il a fallu s’adapter, résister, emprunter, investir, former et coopérer pour évoluer. Depuis quelques années, nous assistons au retour progressif de la diaspora africaine, formée à l’étranger mais restée très attachée à leur continent. Les systèmes en place et les contraintes ne leurs ont pas toujours facilité la tâche mais leur volonté et leur résilience ont fait que certains arrivent à rentrer et à entreprendre, créant ainsi des emplois sur place. Dans ce billet, nous nous intéressons à l'entrepreneuriat africain qui n’a pas à envier à l'entrepreneuriat occidental. L’exemple que nous avons choisi de présenter aujourd’hui est le cas de la startup Taxibokko, une plateforme de mise en relation entre voyageurs et chauffeurs de taxi au Sénégal.
Alors dites-nous Jacob Diatta, comment se porte l’entrepreneuriat africain selon vous ?
Parler de l’entrepreneuriat en Afrique, revient à parler de son potentiel mais aussi de ses nombreux défis à relever. En effet, le continent Africain, à l’instar des autres continents, a une population relativement jeune. La croissance économique de certains pays de l’Afrique de l’Ouest était dans la bonne voie avant la crise sanitaire. Le Sénégal, par exemple, enregistre un taux de 6% depuis plus de 4 ans maintenant. Les chiffres concernant l’entrepreneuriat restent très prometteurs et le nombre devrait augmenter. Selon le magazine britannique The Economist, les dix premiers pays africains ayant l'activité entrepreneuriale la plus élevée ont un taux d’environ 30%. Le Sénégal est troisième avec 38,6%, précédé du Nigéria et de la Zambie, avec tous les deux un taux de 39,9% - l’Angola ferme la marche avec un taux de 28,2%. L’agriculture reste le premier secteur pourvoyeur d’emplois dans ces pays.
Ce dynamisme du continent fait écho au niveau de sa diaspora si bien que, selon Chams Daigne, fondateur de Talent2Africa, 70% de cette diaspora envisagent de rentrer un jour en Afrique. Rappelons que cette diaspora joue un rôle majeur dans l’économie grâce notamment aux transferts d'argent vers le continent.

Aussi, selon une étude sur l'entrepreneuriat féminin en Afrique, publiée par le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger, en partenariat avec Women in Africa, 24% des femmes sont impliquées dans la création d’emplois dans le continent. Leur contribution à l’effort entrepreneurial rapporte entre 250 et 300 milliards de dollars américains, l’équivalent de 12 à 14% du PIB du continent.
Cependant, malgré le fait que ces chiffres montrent le dynamisme du continent, il n’en demeure pas moins que l’entrepreneuriat en Afrique reste une nécessité et pas un choix. En effet, le niveau de développement des pays Africains fait que les gouvernements n’investissent pas suffisamment dans la création d’emplois. Bien que certains pays, comme le Sénégal, aient pris les devants pour développer le système de protection sociale, ce dernier reste accessible qu’à une minorité de la population sénégalaise.
D’après une étude récente de la Banque Mondiale, 97% des emplois créés au Sénégal viennent du secteur informel. Et lorsqu’une famille dépend du secteur informel et ne dispose d’aucune couverture médicale ni de protection sociale, la seule solution pour elle est d’augmenter le temps de travail pour vivre décemment.
Aujourd’hui, au Sénégal, avec le PSE Programme Sénégal Émergent, l’Etat sénégalais a entrepris de vastes projets dans différents secteurs d’activités comme l’entrepreneuriat des jeunes par le biais de la promotion de la création de startups. En effet, ces dernières années, on note l’avènement d’une nouvelle génération de jeunes qui entreprennent et créent des startups innovantes autour de la tech. Nombreuses d'entre elles sont accompagnées et financées par une structure mise en place par l’Etat, la DER (Délégation Générale à l’Entrepreneuriat Rapide des femmes et des jeunes). La DER, comme nous pouvons le lire sur son site internet, est une structure "d'impulsion et de dynamisation de l’entrepreneuriat". Parmi les startups sénégalaises que la DER accompagne, nous pouvons citer la startup Taxibokko que j’ai lancé il y a tout juste un an.
Taxibokko est une société de services technologiques pour la mobilité urbaine. Nous avons développé une application mobile de mise en relation entre clients et chauffeurs de taxi par le biais du covoiturage. Cette application a pour but, d’une part, de permettre aux usagers de payer moins cher leur trajet en partageant les coûts, et d'autre part, d'optimiser la circulation des taxis à Dakar et dans tout le pays. Ainsi, les conducteurs ont une interface sur laquelle ils voient en temps réel la position géographique des clients. Le but est aussi de gagner du temps car dans notre cas, le covoiturage se fait pour transporter des personnes allant dans la même direction.

Nous avons lancé ce projet car nous avons constaté un réel problème dans le secteur des transports en commun. D’abord, l’essentiel du transport en commun au Sénégal est informel - il existe différents moyens de transports mais le taxi est le plus couteux, même si c’est aussi le moyen le plus rapide pour se déplacer. Ensuite, nous avons noté que c’est seulement une toute petite partie de ce secteur qui est régulé notamment avec la présence de Dakar Dem Dikk, la société sénégalaise de transport public. Comment réguler le secteur des transports en commun au Sénégal et faciliter le déplacement des sénégalais ? Taxibokko œuvre dans ce sens en proposant une solution de transports en covoiturage.
Taxibokko n’est pas la seule société qui propose ce service, on peut citer entre autres, les applications Samataxi, Yobaléma et Tukkijam. Les services de ces startups peuvent varier, mais le concept reste le même : la mise en relation entre conducteurs et clients. Mais la réussite dans ce secteur d’activité dépendra de la proposition de valeur qu'apporte chacune de ces startups. Taxibokko l’a compris en travaillant, en partenariat, avec une startup qui développe des solutions pour la mobilité intelligente. L’idée est d’allier un service qui facilite le déplacement avec un gain de temps et une économie d’argent à une technologie qui utilise des données sur le trafic routier en temps réel pour définir la durée exacte d’une course et par la même occasion permettre au conducteur de connaître le meilleur itinéraire à emprunter.
Si nous réussissons à proposer un service qui répond aux désirs et préoccupations des populations, nous pourrions contribuer à l'économie et au développement de la mobilité au Sénégal. Car développer la mobilité urbaine d’un pays rend les échanges beaucoup plus rapides et fluides, et cela participe au développement d’un pays.